« Surtout pour les personnes les plus précaires, accéder au système de santé et aux droits sexuels et reproductifs est difficile »

  • « Surtout pour les personnes les plus précaires, accéder au système de santé et aux droits sexuels et reproductifs est difficile »

Tribune parue dans Le Monde le 9 juin 2023.

Jouir librement de sa sexualité, sans danger ni violence, sans craindre une grossesse non intentionnelle ou une infection sexuellement transmissible [IST], est un enjeu-clé de santé, au cœur de la Semaine de la santé sexuelle, du 5 au 9 juin.

Lancée par le ministère de la santé et de la prévention, cette campagne nationale de promotion de la santé sexuelle, récente et encore méconnue, s’impose pourtant comme une nécessité. A Médecins du monde, nous constatons que l’accès à des informations fiables et sans jugement, ainsi qu’à des services de prévention et de soins pour bien vivre et comprendre sa sexualité reste un défi majeur en France. Surtout pour les plus précaires.

Une campagne de vaccination généralisée contre le papillomavirus est prévue dès la rentrée 2023 auprès des adolescentes et des adolescents. Les parlementaires et le président de la République se sont exprimés en faveur de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse [IVG] dans la Constitution.

De multiples obstacles

Le délai pour y recourir a été allongé de douze à quatorze semaines de grossesse. Des mesures ont été annoncées pour faciliter l’accès au dépistage des IST et à la contraception, notamment pour la contraception d’urgence, qui est désormais disponible en pharmacie, sans ordonnance et sans frais pour toutes les personnes disposant d’une couverture maladie.

Alors, pourquoi sommes-nous préoccupés ? Un fossé existe entre ce cadre ambitieux et la réalité. En France, si l’on veut prendre soin de son corps, de sa sexualité et de sa santé, on est aujourd’hui confronté à de multiples obstacles : manque d’informations sur les services existants, fermeture de maternités et de lieux pratiquant l’IVG, coût élevé d’une consultation gynécologique et des délais, pouvant atteindre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous. De plus, certains professionnels de santé adoptent des attitudes parfois discriminantes et « jugeantes », ou des pratiques violentes à l’égard de leurs patientes et leurs patients.

Si l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs n’est pas effectif pour l’ensemble de la population, à Médecins du monde, nous constatons qu’il l’est encore moins pour les personnes les plus précaires. Les personnes que nous accompagnons au quotidien sont souvent stigmatisées, discriminées et réprimées. Surexposées aux violences, aux risques d’infection au VIH et aux hépatites, ainsi qu’aux grossesses non intentionnelles, elles ont toutes un point commun : accéder au système de santé leur est difficile, voire parfois impossible.

En France, nos équipes observent un nombre croissant de personnes enceintes et ayant récemment accouché à la rue, une observation confirmée dans le dernier rapport de surveillance de Santé publique France sur la santé périnatale en France paru en 2022. Des personnes n’ayant jamais fait de dépistage des IST ni de frottis cervico-utérin poussent les portes de nos centres d’accueil et de soins. Une femme enceinte sur trois rencontrée par Médecins du monde en France présente un retard de suivi de grossesse, et plus de neuf femmes sur dix n’ont pas de suivi gynécologique régulier.

Tabous

Dans la population générale, moins de 5 % des femmes présentent un retard de suivi de grossesse (« Disparités sociales et surveillance de grossesse. Etudes et résultats », Drees, 2007) ou n’ont jamais réalisé de frottis. Ces écarts sont inacceptables. Cancers du col de l’utérus, accouchements prématurés, décès maternels : autant de conséquences dévastatrices pour la santé des personnes et pour la santé publique, qui peuvent être évitées (Baromètre santé 2010, Santé publique France, publié en 2016).

De plus, la sexualité et la reproduction ont une particularité : elles touchent à l’intime. Entourés de tabous, les enjeux de santé qui s’y rapportent sont d’autant plus négligés. Par crainte de stigmatiser ou d’être trop intrusifs, les professionnels non spécialistes peuvent être réticents à aborder ces sujets. Face à eux, les personnes rencontrées relèguent souvent au second plan ces besoins pourtant essentiels, du fait de leurs conditions de vie, voire de survie. Mais ce n’est pas une fatalité.

Nous, professionnels de santé et du social – infirmiers, médecins, sages-femmes, travailleurs et travailleuses sociaux –, pouvons et devons agir ! Les personnes les plus précarisées se tournent trop rarement vers le système de soins. Quand nous les rencontrons, leur état de santé est déjà dégradé, voire critique.

A l’hôpital, dans un centre de santé, au sein d’une association ou en maraude : nous devons leur proposer une prise en charge globale. Peu importe le motif de la rencontre, intégrons systématiquement les enjeux et les questions liés à la sexualité, à la contraception, à la grossesse et aux violences. En parler, c’est un premier pas pour prévenir. Et soigner.

Dr Florence Rigal (Présidente de Médecins du Monde)