Une boussole dans le désert médical
20.03.2025

© Anaïs Oudart
L’ESSENTIEL
La Boussole accueille un public invisibilisé, les personnes étrangères en situation précaire, pour les orienter et les accompagner dans leur parcours en santé.
À travers son programme de médiation en santé, l’équipe de Médecins du Monde à Angoulême joue le rôle de trait d’union entre les personnes étrangères précarisées et d’autres structures médicales, face à des politiques publiques restrictives.
Il fait un froid coupant ce jour-là sur les hauteurs d’Angoulême et Bakary pousse un long soupir de soulagement en ouvrant les portes de la Boussole, lieu d’accueil de Médecins du Monde dans la cité charentaise. Un café fumant, des gâteaux et trois bénévoles l’attendent dans un large espace aux murs blancs décorés par quelques dessins d’enfants et des illustrations pédagogiques sur la santé. « Je passe au moins une fois par semaine demander de l’aide pour mon dossier médical mais aussi pour le plaisir de venir. Je suis hébergé par le 115 mais c’est ici que je me sens chez moi », sourit-il. Originaire de Guinée et arrivé en France en 2023, il fait partie des habitués de cette adresse bien connue du milieu associatif local. Un refuge où l’on peut trouver une aide administrative précieuse et des oreilles attentives.
La Boussole ne propose pas de consultations médicales mais joue un rôle de trait d’union entre des personnes étrangères en situation précaire et d’autres structures médicosociales, à travers un programme de médiation en santé lancé en 2019. Trois salariées et 18 bénévoles se relaient pour proposer des permanences d’accueil de jour le lundi et le mercredi, des ateliers pédagogiques et des entretiens individuels pour aider à prendre des rendez-vous ou renouveler les demandes d’Aide médicale de l’État (AME). « La Boussole est un lieu de ressource et de répit pour les demandeurs d’asile, ceux et celles qui n’ont pas de titre de séjour ou encore les mineurs non accompagnés, qui représentent environ un tiers de notre file active, détaille Amélie Trimoulet, coordinatrice du programme. Les mauvaises conditions d’accueil fragilisent encore plus les personnes étrangères précarisées. Notre objectif, c’est d’éviter à tout prix que leur santé se dégrade. »
Labyrinthe administratif
La mission s’avère délicate à Angoulême, un désert médical où les médecins généralistes ne prennent plus de nouveaux patients et où les consultations qui acceptent les dossiers AME se trouvent souvent à plus de 50 kilomètres. Et avant de réussir à décrocher un rendez-vous, il faut réussir à se repérer dans un labyrinthe administratif et franchir de nombreuses étapes, comme l’évaluation menée par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) pour être reconnu mineur non accompagné, une condition obligatoire pour bénéficier d’une protection et d’un logement. Souvent expéditif, ce « test » aboutit fréquemment à un refus de reconnaissance de minorité. « Il est possible de contester cette décision en saisissant le juge des enfants, mais aucune prise en charge n’est prévue pendant cette procédure qui peut durer plusieurs mois voire plus d’un an, une période pendant laquelle les jeunes sont totalement livrés à eux-mêmes, regrette Maëlis Nivet, médiatrice en santé à la Boussole. La suspicion permanente et le manque de considération sont très humiliants, c’est une violence qui s’ajoute à celle vécue pendant leurs voyages ».
Arrivé à Angoulême le jour de Noël 2017 après d’éprouvants mois de voyage, Sékou a fait partie des « refusés » de l’ASE. « Je me suis retrouvé à la rue. Je faisais des cauchemars la nuit, j’ai eu envie de mourir. J’ai découvert la Boussole par le bouche-à-oreille et l’association m’a aidé à refaire un dossier. J’ai finalement pu être reconnu comme mineur, aller au lycée et être hébergé jusqu’à mes 18 ans ». Revenu saluer l’équipe après une infection qui lui a valu un mois d’hospitalisation, il a amené avec lui Konaté, un ami en quête d’informations sur l’AME. « C’est normal de s’entraider, je n’oublierai jamais l’accompagnement que j’ai reçu ici », ajoute Sékou.
Les mauvaises conditions d’accueil fragilisent encore plus les personnes étrangères précarisées.
Des besoins physiques et psychologiques
La santé mentale revient comme un fil rouge dès qu’est abordé le sujet des mineurs, une population particulièrement vulnérable devenue une priorité du programme de Médecins du Monde à Angoulême. « La Boussole joue un premier rôle en soins psychologiques, en étant dans l’écoute et la bienveillance. Si une demande pour une aide plus concrète est faite, nous pouvons orienter vers des psychologues », précise Maëlis Nivet. L’équipe milite pour sensibiliser davantage à la question de la santé mentale de ces personnes souvent traumatisées par leur voyage, tous âges confondus.
« Plus largement, nous plaidons pour que tous les professionnels de santé comprennent les spécificités des personnes étrangères qui arrivent en France, que leur parcours soit pris en compte dans toute sa complexité », insiste Amélie Trimoulet.
Après plus de cinq années d’activité, l’association note une amélioration de la prise en charge médicale et un partage d’informations plus fluide entre les acteurs médicosociaux à Angoulême. Le dialogue devra se poursuivre jusqu’à décembre 2025, le terme qui a été fixé pour transférer l’ensemble des missions vers d’autres institutions de droit commun qui reprendront le flambeau. « Nous allons continuer à dialoguer entre associations et institutions pour développer un vrai axe de médiation en santé à l’échelle du département. Notre programme d’accompagnement individuel pourrait être repris par la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de l’hôpital d’Angoulême et nous recherchons un partenaire qui pourra reprendre les missions de la Boussole en tant que lieu d’accueil », explique Amélie Trimoulet. Pour la coordinatrice, les volets prioritaires à développer sont l’accès à l’interprétariat, la reconnaissance des spécificités des mineurs non accompagnés et une meilleure information autour de l’AME, un dispositif dans le viseur du gouvernement. « Nous avons réussi à consolider un réseau très solidaire autour des personnes étrangères précaires à Angoulême. Une page se tourne mais le combat continue. »
- Anne-Lys Thomas
Témoignage
Bernadette Imbert, Infirmière hospitalière à la retraite, bénévole depuis sept ans.
« Ancienne infirmière, j’ai fait toute ma carrière à l’hôpital d’Angoulême dans différents services mais c’est en étant bénévole à la Boussole avec Médecins du Monde que j’ai réellement découvert la médiation en santé, une notion souvent mal comprise mais essentielle. À Angoulême, le travail de médiation en santé nous permet de faire sentir la réalité du terrain à tous les acteurs qui travaillent dans le domaine de la santé, pour faire comprendre les difficultés très spécifiques que traversent les personnes étrangères précaires. Par exemple, nous avons récemment joué un rôle d’intermédiaire pour alerter l’ARS sur les risques de tuberculose chez ces publics, maladie qui est loin d’être oubliée. La Boussole est un lieu que nous avons aménagé comme un cocon pour que les personnes se sentent en sécurité et écoutées. Notre rôle ensuite est de savoir frapper à toutes les portes et de faire des liens pour que leurs parcours en santé se passent le mieux possible, comme pour reconstituer un puzzle. »

Nos actions à Angoulême