RDC : panser les blessures des survivantes de violences liées au genre
© Lam Duc Hien, 2009
Depuis 2019, Aicha travaille comme superviseuse du volet Violence liées au genre (VLG) chez Médecins du Monde en République démocratique du Congo. Dans son témoignage, elle nous en dit plus sur les actions menées par notre association auprès des survivantes de VLG, de plus en plus nombreuses dans les zones en conflits armés comme la province du Tanganyika.
Je m’appelle Aicha Nyota, et je suis la superviseuse du volet Violences liées au Genre (VLG) dans la province du Tanganyika, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Je travaille au sein d’un projet qui vise à apporter une réponse médicale d’urgence aux populations de la zone secouée par des conflits intercommunautaires très violents depuis de nombreuses années.
Je suis sage-femme, et j’ai travaillé dans différentes organisations en RDC. En 2016, j’ai été victime d’un grave accident de la route, et j’ai été amputé d’une jambe. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre mon métier et j’ai rejoint Médecins du Monde en 2019. J’ai été affectée dans un des centres de santé soutenus par le projet, et j’ai par la suite pris le poste de superviseuse VLG en juin 2021.
Accueillir et encourager les survivantes à se rendre au centre de santé pour une prise en charge médicale et psychosociale gratuite.
Ce projet appuie 7 centres de santé (Centres de Kateba, Mtoa, Kinsongo, Tundwa, Mushaba, Lukombé et Kyoko) et 3 centres de santé de référence (Undugu, Kabimba et Nyemba) afin d’apporter une assistance médicale et/ou nutritionnelle à 134 137 personnes (dont 55% de femmes et de filles) sur un an d’intervention.
L’équipe du volet VLG est composée de quatre assistantes psychosociales, qui travaillent dans les structures et au sein des communautés ciblées par le projet. Leur présence est cruciale.
Parler des VLG dans la communauté est très difficile : les femmes et les filles ont peur, elles ont honte et n’ont pas les bonnes informations quant aux complications des VLG, et aux prises en charges possibles. S’il y a des cas de violences au sein même de la communauté, les règlements à l’amiable sont très courants, mais dans ces cas-là les survivantes ne vont pas chercher les soins. Les assistantes psychosociales sont donc là pour sensibiliser la communauté mais aussi pour accueillir les histoires des survivantes et les encourager à se rendre au centre de santé pour une prise en charge médicale et psychosociale gratuite. Des réseaux VLG sont mis en place dans les différentes localités soutenues, composés des femmes et des filles représentants la communauté, dont notamment les femmes des chefs coutumiers, qui sont toutes sensibilisées à la prise en charge offerte par Médecins du Monde, et qui peuvent orienter les survivantes.
Au centre de santé, on prend en charge les survivantes médicalement avec ce qu’on appelle le Kit PeP – qui contient les antirétroviraux pour prévenir du VIH, le traitement de protection contre la syphilis et autres infections sexuellement transmissibles et une contraception d’urgence. A cela sont ajoutés le vaccin contre l’hépatite B et tétanos et un test de grossesse. Cette prise en charge est délivrée quand la survivante se présente entre 72H et 120h après l’incident – si une survivante vient après les 72 heures, elle a bien sûr une prise en charge médicale (y compris contraception d’urgence, vaccins et traitements contre les IST), mais elle ne reçoit pas les antirétroviraux contre le VIH, qui eux, ne sont pas efficaces après 72h. C’est très difficile de voir arriver les survivantes dans un délai si court, du fait de la peur de se déplacer sur des axes routiers qui ne sont pas sécurisés à cause des miliciens présents en brousse, la peur du jugement de la communauté, le manque de moyens pour se rendre au centre de santé etc…
Au-delà de la prise en charge médicale, Médecins du Monde apporte une première assistance psychosociale : les assistantes psychosociales font le suivi des cas et sont formées à échanger et soutenir les survivantes. Des groupes de paroles avec des survivantes ayant des histoires similaires sont organisés et sont très appréciés. Ensemble, les survivantes lèvent les tabous, se soutiennent et se conseillent mutuellement.
En plus, selon le type de violence et selon l’état et la volonté de la survivante, Médecins du Monde propose une prise en charge complémentaire, cela peut être une prise en charge psychologique approfondie (certains cas nécessitent l’intervention de psychologues spécialisés), une prise en charge chirurgicale, une prise en charge judiciaire/juridique, une prise en charge pour réinsertion économique ou scolaire etc… Médecins du Monde organise et prend en charge financièrement les rendez-vous de la survivante auprès des autres organisations ou organismes partenaires et effectue le suivi.
Des patientes devant le Centre de Santé de Mushaba, Tanganyika
On prend en charge tous les cas de VLG : les viols, les agressions physiques, les agressions sexuelles, les violences émotionnelles, les dénis d’opportunités, les mariages forcés et précoces. On reçoit beaucoup de cas de viols, perpétrés par les miliciens mais aussi au sein de la communauté. Le conflit, les déplacements de population et la pauvreté fragilisent l’équilibre des ménages et exacerbent les inégalités de genre préexistantes et engendrent des violences au sein même des communautés avec des mariages forcés et des violences émotionnelles, physiques et sexuelles.
De plus en plus de survivantes se présentent pour recevoir des soins.
On constate que de plus en plus de survivantes se présentent pour recevoir des soins depuis le début du projet.
435 survivantes se sont présentés dans nos centres entre janvier et août 2022 (soit 15% de plus qu’en 2021 à cette période).
Sur ces 435 cas-là, on a accueilli 102 cas de viols, 8 d’agressions sexuelles, 25 agressions physiques, 115 mariages forcés ou précoces, 51 dénis de ressources, 131 cas de violences émotionnelles et 3 cas de violences gynécologiques et obstétricales.
Centre de Santé de Lukombé – Province du Tanganyika
Je me souviens d’un cas précis qui m’a beaucoup marqué : une femme avec son bébé de 6 mois venait de la province du Sud-Kivu, et traversait la zone de Nyemba en moto pour installer son petit commerce dans la province du Tanganyika. Sur la route, le motard, elle et son enfant se sont fait attraper par les miliciens Twas. Ils l’ont déshabillée et l’ont attachée à un arbre et pendant deux semaines, ils l’ont séquestrée, battue et violée…. Ils ont même tué son enfant de 6 mois en l’empoisonnant….
Un soir, les miliciens avaient trop bu, alors elle et le motard se sont échappés. Ils sont arrivés dans un village où Médecins du Monde soutient un centre de santé. Elle a été prise en charge mais son état psychologique était très détérioré ; même après quelques semaines les séquelles étaient trop importantes. On l’a référé à notre partenaire la Fondation Panzi – créée par le Dr Mukwege dans le Sud-Kivu mais qui est implantée dans le Tanganyika aussi. Elle est restée à la Fondation pendant trois semaines et elle a reçu l’aide des psychologues spécialisés.
C’était un cas très compliqué, et ce dont elle avait besoin par-dessus-tout c’était de rentrer dans son village d’origine. Médecins du Monde a pris en charge ses frais de transport pour qu’elle puisse rentrer chez elle, retrouver sa famille. Encore aujourd’hui elle nous appelle de temps en temps pour nous donner des nouvelles, et elle va bien.
Les VLG restent une problématique complexe et profonde pour la RDC
On voit que la grande majorité des cas de VLG sont perpétrés sur des femmes et des filles. Mais il y a des cas d’hommes et de garçons qui se font aussi kidnapper par les miliciens et qui sont violés. On réfléchit à mettre en place une prise en charge plus adaptée pour eux en intégrant des hommes dans le réseau VLG existant.
Les violences liées au genre restent une problématique complexe et profonde pour la RDC, surtout dans les zones en conflits armés et intercommunautaire depuis des années comme le Tanganyika. Adresser les causes profondes de ces violences, c’est adresser les causes profondes des conflits et remettre en cause le système patriarcal qui organise les communautés – ou plus largement la société congolaise. Des efforts de la part du gouvernement central et de la société civile sont observés, mais le problème persiste.