Le programme s’articule autour de sorties terrains hebdomadaires sur des bidonvilles et squats identifiés où l’équipe intervient régulièrement, des accompagnements physiques qui en découlent (rendez-vous médicaux, accompagnement de parcours de soins complexes, rendez-vous sociaux) ainsi que d’actions de plaidoyer, plus que nécessaires face aux discriminations auxquelles ce public est quotidiennement confronté.
Le programme bidonvilles : lutte contre l'extrême précarité
Face aux conditions sanitaires et sociales déplorables auxquelles sont confrontées les personnes vivant dans les bidonvilles de Seine-Saint-Denis et aux expulsions à répétition, les équipes du Programme Bidonvilles 93 de Médecins du Monde se mobilisent au quotidien pour un meilleur accès aux soins et aux droits.
“Nous travaillons auprès des personnes vivant en bidonvilles ou en squat. Quand on parle de “public bidonville”, soit en grande majorité des personnes issues de la communauté Rom ou perçues comme tel, on parle avant tout de personnes victimes de la grande précarité” rappelle Clément Etienne, coordinateur du Programme Bidonvilles de Médecins du Monde.
Ce programme, porté par la Mission Banlieue de Seine Saint-Denis qui comprend également un programme CASO (Centre d’accès aux soins et d’orientation) basé à Saint-Denis, existe depuis 1993. Auparavant actif dans toute l’Île-de-France sous le nom de “mission Roms”, ses prérogatives ont désormais évolué ainsi que son secteur d’activité : son objectif est d’améliorer la santé et l’accès aux soins et aux droits des personnes vivant dans les bidonvilles de Seine-Saint-Denis, suivant une méthodologie de médiation en santé.
LA VIE DANS UN BIDONVILLE ET L’ÉLOIGNEMENT DU PARCOURS DU SOIN
“En France, plus de 20 000 personnes vivent dans des bidonvilles, affirme Adeline Grippon, coordinatrice générale de la mission banlieue de Médecins du Monde. Deux tiers des habitants des bidonvilles d’Île-de-France sont concentrés en Seine-Saint-Denis – Soit entre 2 000 et 3 000 personnes.”
Vivre dans un bidonville, c’est se confronter à des conditions sanitaires souvent déplorables, des espaces insalubres, sans accès facilité à l’électricité ni à l’eau, cause de soucis de santé parfois évitables. “De nombreuses personnes rencontrées ont également des problèmes de santé assez communs chez les publics précarisés comme le diabète, les pathologies cardiovasculaires ou l’obésité par exemple, précise Clément Etienne, mais les parcours de soin sont complexes à mettre en œuvre”.
“Il s’agit de familles souvent nombreuses, avec beaucoup de grossesses infantiles”, ajoute-il. Près de la moitié des habitants des bidonvilles sont des enfants de moins de six ans dont la plupart ne sont pas, voire n’ont jamais été, scolarisés et, s’ils le sont, devront changer d’établissement à chaque expulsion. Dans une extrême précarité, les familles qui survivent tant bien que mal dans des baraques auto-construites peinent en effet à obtenir leur droit à la scolarisation, à la sécurité sociale ou même au CCAS des mairies (Centre communal d’action sociale).
Le taux d’illettrisme élevé ainsi que la barrière de la langue éloignent d’autant plus du soin ces personnes qui ne parviennent qu’avec difficulté à remplir les multiples et fastidieux documents administratifs qui leur permettraient, sans certitude, d’intégrer des parcours de soin et de bénéficier de ces droits. “Nous nous efforçons de faire comprendre l’importance et la nécessité de l’interprétariat dans la prise en charge des publics précaires étrangers”, souligne le coordinateur du programme.
Les équipes de la mission bidonville recherchent par ailleurs constamment des bénévoles roumanophones afin de pouvoir communiquer et transmettre au mieux des informations vitales aux personnes rencontrées, dont 95 % sont roumaines sur le département.
EN SEINE-SAINT-DENIS, DES EXPULSIONS À RÉPÉTITION
Ces derniers mois, les expulsions se sont multipliées (une vingtaine en Seine-Saint-Denis en septembre 2021), sans solution de mise à l’abri pour la plupart d’entre elles. Selon le rapport 2021 du collectif RomEurope, “entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, 1 330 expulsions ont été recensées en France métropolitaine, ce qui représente, en moyenne, 472 personnes expulsées par jour”.
Ces expulsions à répétition, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, détruisent les parcours de santé. Elles sont “violentes et délétères”, selon Adeline Grippon, qui défend avec conviction la nécessité d’enclencher un processus de stabilisation des bidonvilles “pour mieux en sortir”. Car expulsion ne signifie pas disparition mais la multiplication des difficultés : destruction du lieu de vie, déplacement forcé dans un nouvel espace non adapté, éloignement du système de soin, des points d’eau. Soit une précarisation grandissante. Une stabilisation permettrait de répondre aux besoins primaires afin de se concentrer sur d’autres sujets plus profonds (scolarisation, violences au sein du foyer, santé sexuelle et reproductive).
Les expulsions sont violentes et délétères
LA MÉDIATION PAR LE SOIN
Le Programme Bidonvilles de Médecins du Monde compte trois salariés à temps plein (un coordinateur, un travailleur social et une médiatrice en santé roumanophones), ainsi qu’une quinzaine de bénévoles (soignants et interprètes). Ces équipes engagées interviennent actuellement sur quatre bidonvilles ou squats deux fois par semaine. Qu’il pleuve ou qu’il vente, quelle que soit la situation sanitaire, leur objectif est le même : permettre aux personnes une entrée dans un parcours de soin (médecine générale, santé sexuelle et reproductive, pédiatrie) grâce à la médiation en santé.
Sur une demi-journée d’intervention, les soignants réalisent trois à quatre consultations. Si quelques médicaments sont distribués quand cela est nécessaire, le but n’est pas de se substituer aux professionnels de santé du droit commun, mais davantage d’orienter vers une prise en charge globale. Médecins et interprètes initient un dialogue sur les conditions de vie, l’accès aux droits et à la domiciliation des personnes rencontrées. Un accompagnement individuel est mis en place pour les questions d’accès au travail et de parcours de soin.
ACCOMPAGNER LE DROIT COMMUN VERS LES PERSONNES EN GRANDE PRÉCARITÉ
Si les équipes interviennent deux fois par semaine sur le terrain, leur travail ne s’arrête pas là et comprend également une dimension de plaidoyer importante. Face aux fortes discriminations administratives et politiques auxquelles sont confrontées les personnes roumaines, le programme bidonvilles de Médecins du Monde porte de nombreux sujets afin de faciliter l’accès aux droits des personnes européennes (comme la création de la PASS Ambulatoire ou de dispositifs sociaux médicaux mobiles, l’importance de l’interprétariat, ou la qualité de l’accueil des personnes en précarité) notamment au sein de collectifs inters associatifs.
Le programme bidonvilles de Médecins du Monde se trouve en effet au cœur de plusieurs collectifs (le collectif Interasso Bidonvilles 93, le Groupe de Plaidoyer CPAM93), en coopération avec d’autres associations et/ou structures de soin (services sociaux hospitaliers et municipaux) afin de se documenter au maximum sur la réalité des situations et de porter conjointement leurs revendications sur la scène politique. Selon Clément Etienne, “l’idée est triple : porter un plaidoyer commun, coordonner nos actions pour mettre plus en avant les difficultés et blocages auxquels nous faisons face, et s’autoformer sur nos thématiques riches et variées”.
DES MESURES INSUFFISANTES
Les mesures prises pour faire face à la situation d’extrême précarité dans laquelle se trouvent les habitants des bidonvilles sont très souvent insuffisantes, voire inadaptées. “Personne ne souhaite qu’il y ait davantage de précarité et pourtant on ne ressent aucune volonté affichée de l’État de résorber les bidonvilles”, déplore Clément Etienne. L’ordonnance de janvier 2018 (1) explique cependant comment une telle mesure est réalisable, et invite les villes à prendre contact avec les associations avant toute expulsion afin de discuter de l’insertion des personnes. Cette instruction, non coercitive, n’est pas encore appliquée par la préfecture du 93.
Cela a pour conséquences des situations dangereuses, voire inhumaines. Une procédure d’expulsion est par exemple en cours à Bobigny : près de 300 personnes dont une cinquantaine de femmes enceintes sont susceptibles de se retrouver sans solution d’hébergement, dès la fin de la trêve hivernale.
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