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50 ans de la loi Veil : et maintenant ?

17.01.2025

© Marie Pierson

Le 17 janvier 1975, la loi Veil dépénalisait l'avortement en France. 50 ans plus tard, et un an après l’inscription de l’IVG dans la Constitution française, beaucoup pensent que le combat pour le droit à l’avortement est terminé, déjà gagné. Pourtant, c’est encore loin d’être le cas. Médecins du Monde place la santé sexuelle et reproductive au cœur de ses actions en France comme à l’international : un accès sécurisé, effectif et juste à l’avortement est une nécessité pour la santé et la vie des personnes.

Marie Missioux, référente Droits et Santé Sexuels et reproductifs chez Médecins du Monde en France, nous explique les enjeux toujours liés à ce soin de santé.

50 ans après la dépénalisation de l’avortement, où en est-on en France ?

Depuis son inscription dans la Constitution en mars 2024, la protection du droit à l’avortement est renforcée. C’est une excellente nouvelle, évidemment, mais la loi ne suffit pas à garantir un accès effectif à l’avortement pour toutes.

Beaucoup de personnes peinent encore à accéder à l’avortement. En partie car elles vivent loin des lieux de soins et des centres pratiquant l’IVG*, mais également à cause de la diminution du nombre de ces centres en France. En effet, les restrictions budgétaires dans le champ de la santé sexuelle ont forcé de nombreuses maternités et centres IVG accolés à fermer et peu de médecins et gynécologues de ville pratiquent l’IVG à l’heure actuelle.

Cependant, les obstacles à ce soin essentiel ne sont pas uniquement d’ordre pratique : la honte et la culpabilité, imposées par un long historique de contrôle du corps des femmes, sont des entraves aussi puissantes que la loi.

*interruption volontaire de grossesse

 

Quels sont les constats de Médecins du Monde sur le terrain en France, auprès des personnes précarisées, concernant l’accès à l’avortement ?

Pour les personnes en situation de précarité que nous accompagnons en France, le parcours d’accès à l’avortement est souvent semé d’embûches.

Avec un accès restreint à l’information, la plupart ne sait déjà pas nécessairement qu’il est possible d’avorter en France. Dès lors qu’elles ont cette information, comment savoir où aller, et dans quelles conditions ? Si elles ne sont pas en situation régulière, les femmes précarisées limitent leurs déplacements pour éviter les contrôles policiers et, une fois sur place, il est rare qu’elles puissent être accueillies avec un ou une interprète, ni que leurs conditions de vie soient prises en compte par les praticiens, sans jugement.

Sur nos terrains d’intervention, nous constatons que les personnes précarisées ont le plus souvent bien d’autres priorités que leur santé, encore plus leur santé sexuelle. Bien qu’essentiels, ces besoins sont souvent relégués au second plan car les personnes pensent avant tout à leur survie : où dormir ce soir, quoi manger ? C’est donc à nous, intervenants de santé, d’aborder le sujet de la santé sexuelle tout en prenant en compte les besoins exprimés. Si le dialogue ne vient pas de nous, on peut se retrouver avec des besoins d’IVG non identifiés pouvant mener à des IVG tardives ou à des grossesses non désirées.

Nous l’avons dit précédemment, il y a toujours cette honte et cette culpabilité autour de l’avortement qui subsistent. ET ce peu importe notre niveau d’éducation et notre situation. Donc il faut que les soignants et autres intervenants puissent aborder ces questions et mettre en confiance les femmes concernées.

La honte et la culpabilité, imposées par un long historique de contrôle du corps des femmes, sont des entraves aussi puissantes que la loi.

Marie Missioux

Référente Droits et Santé Sexuels et reproductifs chez Médecins du Monde en France

Quelles semblent être les perspectives dans les mois et années à venir ?

L’histoire et le contexte mondial actuel imposent la méfiance. Si certains peuvent avoir l’impression que la question de l’avortement est réglée en France et que nous n’avons plus besoin d’en parler, ce sujet, qui dépasse largement le soin de santé, doit au contraire rester au centre de nos préoccupations tant que l’accès à l’IVG ne sera pas garanti pour toutes et tous.

Par méfiance, j’entends qu’il y a un vrai enjeu à faire perdurer l’histoire de la lutte pour ce droit et l’engagement des personnes grâce à qui la loi a évolué, dans un monde où les idées réactionnaires trouvent de plus en plus d’audience. Le sexisme ne faiblit pas en France, bien au contraire. Nous avons un exemple de proximité avec l’Italie. Dès lors que l’extrême droite est arrivée au pouvoir, les groupes anti-IVG se sont emparés des centres pour dissuader les femmes d’avoir recours à un avortement, en leur faisant notamment écouter le cœur du fœtus. Ces méthodes de dissuasion ne nécessitent pas de changer la loi, et sont malgré tout très efficaces.

On sait que, quand les idées réactionnaires avancent, les droits des femmes reculent. Il est cela dit nécessaire de rappeler que lorsque les droits des femmes progressent, les voix des forces opposées se déchaînent. C’est là qu’il faut rester vigilant.

Nous allons célébrer les 50 ans de la loi Veil – 50 ans seulement que l’avortement, un soin de santé essentiel, n’est plus sanctionné par la loi. On attend des 50 prochaines années qu’elles protègent réellement ce droit et que nous n’ayons plus jamais peur qu’il nous soit retiré, ou que nos corps soient contrôlés.

 

Quelles sont les demandes de Médecins du Monde Comment agir et se mobiliser pour briser le tabou de la santé sexuelle en France et garantir l’accès à ce soin pour toutes ?

Il est nécessaire d’agir à trois niveaux. En premier lieu, en tant que société civile. Déjà individuellement, en en parlant autour de soi, à ses enfants, à ses proches puis, collectivement, dans les médias et au sein de la population. Ensuite, à un niveau politique : les structures de santé sexuelle doivent disposer des financements suffisants et être soutenues par l’État.

Enfin, au niveau des professionnels de santé et des acteurs de terrain qui interviennent auprès des personnes précarisées. Il est indispensable d’aborder les questions de santé sexuelle et d’informer sur le droit à l’IVG en France, entre autres droits comme le droit d‘avoir des enfants ou de les éduquer dans un environnement sain.

Notre principale recommandation est de continuer à se mobiliser, d’écouter sans jugement les récits des personnes qui ont eu recours à un IVG et de briser le tabou en en parlant le plus possible autour de soi. En parler, c’est déjà faire avancer le combat. Et le gagner.