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Le grand entretien avec Jules Boykoff

Articles 10.07.2024

© Brian Lee

Un nettoyage social à bas bruit. Alors que les préparatifs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris entrent dans leur dernière ligne droite, l’expression est sur les lèvres de toutes celles et ceux dont la voix s’élève pour dénoncer le violent impact social de l’événement : les expulsions de populations indésirables et la précarisation galopante. C’est en suivant assidument plusieurs olympiades, été comme hiver, que l’Américain Jules Boykoff s’est forgé une solide réputation de spécialiste des zones d’ombre des Jeux. Ancien footballeur professionnel, enseignant en sciences politiques à la Pacific University de l’Oregon, auteur de six livres sur le sujet, celui qui se décrit d’abord comme un grand fan de sport sera à Paris cet été en tant qu’observateur avisé du spectacle olympique et de ses coulisses.

Paris vend ses Jeux olympiques comme les plus inclusifs de l’histoire. Le croyez-vous ?

J’étudie les Jeux olympiques depuis plus de quinze ans, je suis donc habitué à voir les dirigeants dire devant les caméras que « cette édition des Jeux va être la meilleure de tous les temps ». On a entendu à plusieurs reprises, déjà lors de la phase de candidatures, que Paris aurait un impact social positif évident. Je ne sais pas si, à terme, les JO sont si merveilleux quand les personnes les plus marginalisées sont renvoyées par bus hors de la ville olympique avant le début des Jeux. C’est honorable d’aspirer à devenir les JO les plus socialement inclusifs. Mais comment les personnes migrantes sont-elles incluses à tout ça ? Comment les pauvres sont inclus alors que leur quartier se gentrifie ? Comment les travailleurs peuvent-ils se sentir inclus alors qu’ils ne peuvent pas se payer un billet pour assister aux Jeux ?

Les populations pauvres, les populations marginalisées, les populations de sans-abri sont dégagées pour laisser place au spectacle olympique.

Quelles sont les personnes qui subissent l’impact négatif des JO ?

Ce que j’ai appris grâce à mes recherches, c’est que les gens vivant dans la ville hôte sont impactés par un grand nombre de problèmes. Et c’est le cas dans à peu près toutes les villes organisatrices, qu’il s’agisse de Beijing ou de Paris. Le premier problème est celui du dépassement des dépenses qui retombe sur le dos des contribuables. Une autre tendance est le déplacement de la population laborieuse. À Beijing, avant les JO de 2008, plus d’un million de personnes ont été chassées pour laisser la place aux installations olympiques. À Rio de Janeiro, en 2016, j’ai vécu et travaillé avec les communautés qui étaient déplacées : plus de 77 000 personnes ont été forcées de vider les lieux. Les populations pauvres, les populations marginalisées, les populations sans abri sont dégagées pour laisser place au spectacle olympique.

Diriez-vous que l’organisation de JO s’accompagne forcément du nettoyage social ? ?

C’est triste à dire, mais le nettoyage social est une sorte d’ignoble tradition olympique. Si l’on remonte le fil de l’histoire politique des JO, on constate qu’ils ont été utilisés comme mécanisme par les gouvernements pour se débarrasser de ceux qu’ils considèrent comme indésirables. En 1996, ici dans mon pays à Atlanta, la police a acheté des billets de bus aller simple aux sans-abri pour les envoyer dans d’autres villes des États Unis. Autre chose très importante sur Atlanta, les JO ont été utilisés pour la gentrification de la ville et la destruction des logements sociaux comme les Techwood Homes, le premier ensemble de HLM financés par des fonds fédéraux. À Tokyo, en 2019, près de 300 familles ont été expulsées de leur logements sociaux. J’en ai parlé avec deux femmes qui, chose incroyable, avaient vécu la même chose pour les JO de 1964. Qui est donc touché par ça ? Les personnes qui n’ont pas de pouvoir dans la société et qui vivent déjà en marge.

Quels sont les risques pour Paris ?

Souvent, les dirigeants derrière les JO et les forces de l’ordre qui se trouvent dans la ville et le pays hôtes utilisent l’état d’exception inévitablement suscité par les JO pour permettre que ces choses se produisent, pour virer les gens de la ville, les mettre dans des bus pour les envoyer dans d’autres endroits du pays, comme ça se passe à Paris. Il ne faut pas se voiler la face, la surveillance totale des espaces publics va affecter les gens qui restent le plus dans les parcs. Cela va affecter davantage les personnes déjà marginalisées dans la société.

Comment rendre les Jeux olympiques plus inclusifs ?

Il faudrait que ça fasse partie du plan dès le tout début. Prenez par exemple le village olympique, où les athlètes seront hébergés. Il faut créer des logements sociaux qui le resteront jusqu’au bout et profiteront aux personnes qui vivent déjà dans le quartier où il est construit. Si dès le départ l’engagement était de consacrer les quatre années de préparation à aider les pauvres et les marginalisés de la société, il serait possible que cela fonctionne. Et s’il existait des mesures de reddition des comptes, on ferait mieux en matière de promesses pour rendre les JO plus inclusifs socialement.

Peut-on exiger des Jeux véritablement éthiques ?

Lorsque les Jeux de Paris arriveront, la presse mondiale sera là, il y aura des journalistes du monde entier, moi y compris. Je serai à Paris en reportage sur ce qui se passe hors des installations sportives, dans la société. Les JO donnent la possibilité aux habitants et aux activistes d’utiliser l’énorme piédestal qu’ils représentent pour faire connaître ce qui compte pour eux et elles. On peut encourager les athlètes et se battre en même temps pour les causes auxquelles on croit.

JOP24 : Le grand nettoyage social

Notre combat

Le 30 octobre 2023, un collectif d’associations, dont Médecins du Monde, adressait une lettre ouverte au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, aux élus et pouvoirs publics, aux sponsors et partenaires des Jeux.

L’objectif ? Alerter sur les conséquences des bouleversements prévus à Paris et en Île-de-France sur les populations en situation d’exclusion et de précarité. Le Revers de la médaille était né.

Depuis, plus de 80 associations de solidarité se mobilisent pour que la dynamique des Jeux ne soit pas synonyme de renforcement de l’exclusion mais laisse un héritage social positif.

« Ça n’est pas notre mandat de nous intéresser aux Jeux olympiques. Mais on s’est rendu compte qu’avec l’arrivée des Jeux, le nombre
d’expulsions et d’opérations de police contre les personnes à la rue avait explosé, explique Paul Alauzy, coordinateur de la veille sanitaire parisienne de Médecins du Monde. On essaie de documenter ces actes pour montrer les impacts sur leur santé, les ruptures de soins, cette impossibilité d’exister physiquement dans l’espace public qui crée une détresse psychique immesurable. »

Enjeux

Dénoncer, derrière les promesses d’inclusivité de la grande fête du sport, les expulsions des populations indésirables.
Préserver les mécanismes de solidarité pour les personnes les plus vulnérables.

Nos actions

  • 6 maraudes par semaine dans la rue, les campements et les squats : soins médicaux, infirmiers et psychologiques d’urgence.
  • Un accueil médicosocial au centre d’accueil une fois par semaine.
  • Plaidoyer auprès des autorités pour des solutions dignes et pérennes d’accueil inconditionnel.
  • Présence lors des opérations d’évacuation et actions de mobilisation dans l’espace public.

À lire !

PARIS 2024 de Jade Lindgaard
Éditions Divergences

Les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont obtenu carte blanche pour fabriquer en Seine-Saint-Denis la ville rêvée des promoteurs et investisseurs : sans pauvre, sans cité. Il faut regarder par la fenêtre de celles et ceux qui y habitent pour voir que l’« intérêt national » de cette opération a délogé 1 500 personnes, détruit des jardins ouvriers, collé une voie d’accès routière à une école.

La journaliste Jade Lindgaard a enquêté sur l’impact des JO sur les marges de la puissante métropole parisienne.